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Président de Lacroix Groupe Conseil à Montréal, une firme qui offre des services de consultation stratégique en gouvernance, l’auteur était jusqu'à tout récemment, Vice-président investissements au Fonds de Solidarité FTQ et Vice-président du chapitre québécois de l’IAS. **** Les chroniques qui apparaissent dans ce blog sont rédigées puis publiées dans le bulletin mensuel de l'Association des MBA du Québec. À noter qu'elles ne reflètent que l'opinion de l’auteur **** Vous pouvez également obtenir plus d'infos sur certains des services en gouvernance que Lacroix Groupe Conseil est en mesure de vous offrir en allant voir le site web à : http://www.lacroixconseil.com

mardi 1 janvier 2008

La voyoucratie

Certains d’entre vous qui connaissent la compagnie EADS, le fabricant européen des avions Airbus, auront entendu parlé des déboires de l’entreprise liés au lancement de leur dernier modèle : le A380. Des retards dans le design et des problèmes techniques ont amené des cancellations de commandes, retardé la production et éventuellement, la livraison des premières unités aux clients de plus de 18 mois. Mais plus récemment, l’entreprise a fait les manchettes pour de toutes autres raisons.

Ainsi, cette compagnie publique Franco-Allemande, dont 15% du capital appartient à l’état français et un autre 15% est détenu par Dailmer-Chrysler et Le Groupe Lagardère, a vu la valeur de son titre plonger en bourse de plus de 25% (en juin 2006) en une seule scéance suite à l’émission d’un avis d’alerte (« profit warning ») faisant état des conséquences financières de ces retards.

Le scandale

Jusque là, rien d’exceptionel dans le monde des affaires. Mais suite à des plaintes de petits actionnaires, l’Autorité des Marchés Financiers (l’AMF francaise, qui a sensiblement le même rôle que la nôtre) a fait enquête et produit un rapport dont les conclusions ont été coulées et rendues publiques le 3 octobre dernier par Le Figaro. Titrant un « délit d’initiés massif », le rapport d’enquête affirme que près de 1,200 initiés (des gens possédant des informations confidentielles et non connues du marché et des investisseurs) auraient vendu plus de 10 millions d’actions, alors que le cours était à son sommet (donc avant l’avis) et alors qu’ils connaissaient la situation liée aux retards et ses impacts financiers. Ils auraient ainsi communément réalisés quelques 100 millions d’euros de plus-value dans les mois précédant la débâcle (en plus d’éviter la décote subséquente). On y apprend aussi que plusieurs des actions ont été transigées par des employés qui venaient de les acquérir suite à l’exercice d’options d’achat d’actions.

Au support de ses conclusions, l’AMF note que la plupart de ces initiés n’avaient jamais vendu de titres auparavant et n’en ont pas acheté dans les semaines précédant l’avis.

Les conséquences

Certains d’entre vous se rappelleront ma chronique d’il y a trois ans dans laquelle je racontais qu’un comité du CA d’Hollinger, enquêtant sur les agissements de Sir Conrad Black, avait inventé un néologisme pour qualifier l’attitude qui prévalait au sein de la direction du groupe en la qualifiant d’un régime de « cleptocratie corporative ». Et bien j’ai découvert la version franco-française du terme en lisant sur le rôle du gouvernement et de ses agences dans ce scandale, on y parle de « voyoucratie ».

En effet, d’aucuns s’intérrogent à savoir comment autant d’employés, dirigeants, actionnaires, actionnaires et fonctionnaires (l’état étant le plus gros actionnaire) pouvaient être au courant de la situation et sans que l’état n’exige du conseil d’administration de l’entreprise qu’elle en avise les marchés financiers.

On peut s’attendre à ce qu’il y ait une enquête politico-juridique qui va s’éterniser en tentant d’entraîner un maximum de gens dans le tourbillon du scandale.

Nicolas Sarkosy a déjà annoncé l’intention du gouvernement de réformer la fiscalité des régimes d’options d’achat d’actions pour empêcher les abus, mais comment ?

Les autres partis politiques parlent de manque de transparence, de complicité avec la droite (financière) et de délit de « défaut d’information » de la part du gouvernement.

Entre temps, les syndicats sont aux abois, car pour revitaliser son image et sa valeur en bourse, EADS a entrepris une restructuration qui aura comme conséquence notamment d’abolir près de 10,000 emplois.

Mais trouver des coupables dans une « fraude » d’une telle ampleur va s’avérer complexe. En effet, comment prétendre que l’information était confidentielle, si tant de gens la connaissait ? Comment attribuer (et partager) la responsabilité de la faute à 1,200 individus, ayant des niveaux de connaissance très différents ?

La leçon à retenir est que lorsqu’une information est matérielle, le CA d’une société ouverte se doit de la partager avec l’ensemble des investisseurs sur le marché dès que possible, de façon à éviter de créer des opportunités de délit, que certains risquent de vouloir saisir. Dans un tel cas, on peut présumer qu’ils se verront attribuer une part importante de responsabilité dans ce scandale.

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#31 - Bulletin AMBAQ de Décembre-Janvier 2008