Qui suis-je ?

Ma photo
Président de Lacroix Groupe Conseil à Montréal, une firme qui offre des services de consultation stratégique en gouvernance, l’auteur était jusqu'à tout récemment, Vice-président investissements au Fonds de Solidarité FTQ et Vice-président du chapitre québécois de l’IAS. **** Les chroniques qui apparaissent dans ce blog sont rédigées puis publiées dans le bulletin mensuel de l'Association des MBA du Québec. À noter qu'elles ne reflètent que l'opinion de l’auteur **** Vous pouvez également obtenir plus d'infos sur certains des services en gouvernance que Lacroix Groupe Conseil est en mesure de vous offrir en allant voir le site web à : http://www.lacroixconseil.com

samedi 20 décembre 2008

Les critiques ont la cote

C’est en assistant à une conférence portant sur le lien entre la bonne gouvernance et la bonne performance que l’idée de cette chronique m’est venue. Dans sa présentation, Roberta Romano[1], mentionnait avoir étudié plusieurs des indices composés disponibles qui visent à évaluer la qualité de la gouvernance des CA des sociétés ouvertes.

Bien qu’elle affirme que « qualité de gouvernance » et « performance d’une organisation » ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, ses conclusions sont essentiellement que :
  • Il n’y a pas de lien démontré entre la performance des entreprises et les indices de gouvernance (ou de mesure spécifique) connus;
  • Il n’y a pas de bonne mesure, tout dépend du contexte.

Conséquemment, les autorités règlementaires devraient permettre de la flexibilité dans les modèles de gouverne des organisations.

Une analogie impertinente

C’est vrai qu’il est parfois difficile de juger de la performance de choses dont la variabilité est extrême. Prenons les films par exemple, il existe plusieurs types de façon de les évaluer :

(B+) Crash (v.f. de Crash), Thriller de P. Haggis avec S. Bullock, M. Dillon et D. Cheadle, États-unis, 1 h 55 min. Gagnant de 3 Oscars pour le meilleur film, le meilleur scénario et le meilleur montage. (13+). Les destins entrecroisés de huit personnes à Los Angeles, 24 heures avant qu'on ne retrouve le corps d'un homme assassiné.

Le premier indicateur est une cote, moyenne établie par plus de 40,000 internautes (un groupe de 13 experts[2] avait donné la cote B), indique un film de très grande qualité (par opposition à un « F » qui présume d’un navet). Le second, un genre, qui permet au cinéphile d’espérer que le film le tiendra en alerte. Suit une liste d’informations factuelles.

La référence aux Oscars et à plusieurs autres prix émérites, est le constat d’une forte reconnaissance (par les pairs et le public), quant à certains aspects techniques du film. La cote d’âge, allant de « Général » à « Adulte 18+ » indique aux parents qu’ils peuvent laisser leurs adolescents (et non leurs enfants) écouter un tel film. On termine le tout avec un bref synopsis.

Comparons maintenant cette critique de film avec celle, quasi-fictive, d’une société cotée en bourse à New-York et que l’on pourrait retrouver dans une revue d’investisseur éthique :

(79,2) Esso (v.f. de Exxon), NYSE États-unis, 1882, Blue-Chip fondé par E. Drake et B. Smith avec J D. Rockefeller comme co-fondateur, R. Tillerson dans le rôle du Chair et J. Houghton au comité de vérification. Gagnante d’une multitude de prix déméritoires (droits humains, environnement et responsabilité sociale), Exxon obtient en 2008 le score le plus bas de sa catégorie (l’un des 3 pires pour les USA) avec un indice du Reputation Institute de 38,5. (Aaa). Le destin d’une entreprise omnipotente et sa lutte pour éviter de payer 2,5 des 5,9 milliards de dollar$ d’amende imposée suite au déversement de pétrole en Alaska par le Exxon-Valdez.

Pour débuter, une référence à l’usage des meilleures pratiques de gouvernance[3]. Alors que GovernanceMetrics Intl. estime que les pratiques d’Exxon méritent une note de 10 sur 10, ISS lui accorde un quotient « CGQ » de 79,2%, note ordinaire principalement due au fait que le PDG occupe le poste de président du CA. C’est quand même bien mieux que les autres indices qui évaluent des éléments plus « subjectifs ».

Ainsi, accusée de prêter peu d’écoute à ses actionnaires dissidents, on constate que plusieurs organisations prétendent qu’Exxon est « la compagnie que tous aime haïr », notamment[4] :

· Ecofact qui la considère la compagnie la plus controversée au monde
· Corporate Equality Index qui lui a conféré son plus bas pointage (14%)
· Prix citron lors du Greenwash Sweepstakes Awards

Pourtant, ses actionnaires et le monde de l’investissement semblent être en désaccord avec eux. Forte d’une cote triple-A de Moody’s et S&P (cinq compagnies américaines seulement la détiennent) l’entreprise qui n’a jamais subie de pertes, apparaît très bien gérée et gouvernée et a une situation financière très solide. Tout comme son genre (Blue Chip) l’indique, ce titre est accessible au public investisseur en général.

Mais, la vrai mesure…

Vous en avez assez ? Je dis souvent que la vraie mesure d’un bon CA est sa capacité à créer (et préserver) de la valeur sur un horizon temporel qui se compte en années (et non en mois).

Alors recommençons : bien qu’ayant un petit budget de 6,5 M$, le film Crash a réussi à générer des revenus mondiaux de près de 100 M$, ce qui le classe au 924 rang[5] de tous les films américains. Une performance financière tout au plus honorable selon Hollywood, et bien inférieure à ce qu’on aurait été en droit de s’attendre vu la qualité des critiques.

On est très loin de la performance financière d’Exxon qui, en tête du Fortune 500 pour les 5 dernières années à titre d’entreprise avec les plus hauts profits (40 MM$ en 2008), s’est classée parmi les trois premières du classement[6] (revenus et profits) depuis, tenez-vous bien : 1955…

Quel est le rendement composé historique d’un titre dont la valeur passe de 2,50$ en 1971 à 92,50$ en juin dernier (en plus de tous les dividendes versés au fil des ans). Selon Fortune, son rendement composé sur 10 ans (pour l’investisseur) a oscillé historiquement entre 10 et 20 % selon les années et les décades (et moi qui dis toujours qu’un taux supérieur à 10 % est insoutenable).

Que peut-on conclure ?

On voit donc que, comme pour toutes sortes d’évaluations, lorsqu’on utilise un indicateur donné pour prédire la performance finale, bien qu’il soit possible de constater l’existence de liens entre les deux, il peut parfois s’avérer extrêmement difficile de les corréler entre eux, et surtout, d’arriver à quantifier la valeur qui sera créée ou générée.

De plus, certains indicateurs de nature plus qualitative, bien qu’utiles pour mobiliser et amener des changements de comportement, ont encore moins de capacités prédictives (parfois même inverses).

Alors, en cette période trouble sur les marchés financiers mondiaux, j’espère que nos voisins américains, tout empressés qu’ils seront de vouloir empêcher une répétition de la récente débâcle, sauront résister à l’envie de légiférer inutilement à nouveau et de tenter de règlementer à outrance les pratiques des conseils d’administration. A-t-on vraiment besoin d’un Tome II de la saga Sarbanes-Oxley ?


[1] Corporate Governance and Performance, Roberta Romano, Yale Law School, Conférence de l’IAS sur la gouvernance, Montréal, Sept. 2008
[2] http://movies.yahoo.com/movie/1808631706/info
[3] http://www.kenan-flagler.unc.edu/assets/documents/sustainabilityIndexSummaries.pdf
[4] http://www.sri-adviser.com/briefs.mpl
[5] http://www.boxofficemojo.com/movies/?id=crash05.htm
[6] http://money.cnn.com/magazines/fortune/fortune500/2008/

-30-

#38 - Bulletin AMBAQ décembre 2008

mercredi 1 octobre 2008

Les têtes de Turc !

C’est maintenant le temps de l’année où j’aime m’épivarder sur plusieurs thèmes. Alors, allons-y.

Vignoble éthique

L’ambassadeur de l’éthique aura bientôt sa propre étiquette. Cet homme autrefois puissant au sein de la machine fédérale, qui semblait distribuer des largesses avec notre argent, est maintenant recyclé en viticulteur avec sa famille. Rien de remarquable en soi, mais avouez que plusieurs d’entre vous ont sursauté lorsque vous avez appris qu’il avait bénéficié d’un support gouvernemental (un prêt de Financement Agricole Canada d’un peu plus d’un demi-million de dollars). Surtout dans la foulée d’un rapport d’enquête qui le blâme officiellement pour son rôle dans ce qu’il est convenu d’appeler « le scandale des commandites ».

Je suis pourtant d’avis que le scandale aurait été que des membres du gouvernement interviennent pour l’empêcher ou que pire encore, la société fédérale se laisse influencer par un prétendu manque de moralité d’un groupe d’affaires (ici une famille) lorsqu’il était temps d’évaluer un dossier de nature simplement financière.

Je n’ai rien contre le fait qu’on élague les criminels (dûment jugés) et les gens qui ne rencontrent pas les critères de compétences et d’expertise requis d’un programme gouvernemental. Mais s’il est permis d’utiliser la morale, qui est en soi quelque chose de relatif et d’éminemment personnel, pour choisir ses amis, elle ne doit en aucun cas l’être pour analyser des listes de bénéficiaires potentiels de fonds publics.

Gestion de risque ou gestion de crise

Alors que notre alimentation est de plus en plus sécuritaire (produits chinois exclus), nous venons d’assister une fois de plus à une inflammation médiatique causée par la nécessité de « remplir » nos bulletins de nouvelles dans un mode 24 / 7.

Je ne nie pas la nécessité d’aviser le public d’un danger lié à l’innocuité d’un produit ou même de procéder à des rappels si des vies sont en jeu. Mais c’est là tout le débat, je risque ma vie plusieurs fois par jour, tous les jours et ce, dans toute sorte de circonstances. Cependant, sur une base comparative, je risque ma santé bien moins souvent que mon père le faisait et encore bien moins que son père avant lui.

Mais jusqu’où doit-on aller pour satisfaire le désir de sécurité de ceux qui posent les questions avec des micros. Doit-on risquer de mettre à mort une excellente compagnie pour s’assurer d’être dans un environnement totalement sans risque quand on mange une charcuterie ? Devons nous mettre en péril toute une industrie fromagère naissante parce qu’on a diagnostiqué plus de cas d’infections que l’année précédente ?

Va-t-on bientôt me saisir mon vélo si j’ose me promener sans casque ? Vont-ils saisir formes poignées de portes qui peuvent transmettre la grippe (cause de plusieurs dizaines de décès à chaque année) comme le suggérait Dany Laferrière ? Et mon rideau de douche en PVC qui, je viens d’apprendre, est susceptible d’émettre jusqu’à 110 composantes organiques volatiles toutes plus dangereuses pour la santé les unes que les autres, la DPJ va t-elle débarquer chez moi ?

Ne peut-on pas agir sans créer une dramatique à chaque fois ?

Nos futurs

Suite à certains évènements survenus cet été à Montréal-Nord, il s’en est trouvé plusieurs pour dire que le système scolaire était déficient et que nos jeunes manquaient d’éducation. Pour d’autres, tout est de la faute de la dernière réforme si nos enfants ne sont pas éduqués. Pourtant, au Québec, une des seules choses qui semble durer moins longtemps qu’une réforme est le titulaire dudit ministère de l’Éducation... Les deux se succèdent à des rythmes effarants. Il est difficile d’aspirer à de la continuité et de la performance dans le système scolaire avec un tel leadership en constante mouvance.

Frustré de la situation qui ne cesse de se dégrader, un prof[1] à récemment écrit de belle façon comment le ministère de l’Éducation semblait avoir totalement libéralisé l’octroi des diplômes (n’importe quoi pour n’importe qui). À son avis, certains idéologues du ministère « ont fait du jovialisme, une philosophie d’État » car, il semble bien n’y avoir qu’eux de satisfaits des résultats du système. Il illustrait son propos en parlant d’une de ses élèves qui référait à Adolf Éclair, en voulant parler de vous savez qui…

Mais moi, mon vrai bogue c’est que je titille chaque fois que j’entends parler du Ministère de l’Éducation. J’ai des attentes face au gouvernement, notamment celle de mettre en place un système pour instruire mes enfants et leur enseigner un cursus minimal. Mais, je pense sincèrement que le rôle de les éduquer et de leur transmettre des valeurs me revient en tant que parent (au sens large). Je sais que c’est de la sémantique, mais je crois que cette mauvaise appellation suscite la confusion des genres. Elle crée des attentes démesurées envers le système et permet à quiconque de renvoyer tous les blâmes imaginables à l’état (ou ses représentants) lorsque nos jeunes semblent ne pas être éduqués de façon adéquate (c’est la règle du : c’est nécessairement la faute de quelqu’un d’autre, que moi…).

J’ai vraiment hâte au jour où un parti politique osera inscrive à son programme l’engagement ferme de changer le nom actuel du Ministère de l’Éducation pour celui de l’Enseignement (ou de l’Instruction). Ce jour là, il risque d’avoir mon vote, mais surtout, j’ai l’impression qu’un message important serait en voie d’être compris par plusieurs dirigeants, dirigés, et parents aussi...


[1] P Moreau, professeur Collège Ahuntsic, La Presse, 2 septembre 2008 et auteur du livre « Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ? » chez Boréal

-30-

#37 - Bulletin AMBAQ d'octobre-novembre 2008

vendredi 1 août 2008

Reconstruire l’histoire !

Oufffff… lorsque cette chronique sera publiée, je ne sais pas si la transaction de vente de BCE sera confirmée, renégociée ou autrement annulée, ni même si la Cour Suprême aura motivé sa récente décision, mais je sais que la grande majorité des administrateurs de sociétés auront poussé un gros soupir de soulagement. Je dis la « grande majorité » parce que j’exclus les avocats qui, dans le cadre de leur pratique professionnelle, entrevoyaient déjà un énorme « party d’honoraires » pour au moins quelques années à venir, investies à redéfinir la jurisprudence liée à la gouvernance.

La décision

J’avais prévu traiter du sujet dans cette dernière édition de la saison (et ce, peu importe où en était rendu la cause) mais je suis plutôt heureux que la Cour ait rendue une décision aussi rapidement. Au premier chef, pour avoir choisi de reculer sur un jugement antérieur mal fondé (selon moi), qui ne laissait entrevoir qu’incertitude et indécision. Au second chef, pour empêcher que des précédents ne soient créés et que des administrateurs de sociétés, confrontés à des décisions importantes se trouvent dans une situation où ils n’auraient pas su sur quel pied danser. Et finalement, parce que j’aurais dû ré-écrire le chapitre de mon cours de gouvernance portant sur l’imputabilité des administrateurs et ce, sans trop savoir quoi transmettre comme nouveau message.

Car telle était l’ampleur de la décision rendue par la Cour Supérieure du Québec qui avait statuée que le CA de BCE devait se préoccuper d’intérêts autres que ceux des actionnaires dans leur décision liée à l’offre de privatisation. Vous me direz qu’il y avait une certaine logique à demander de réfléchir aux conséquences d’une décision sur des tiers et c’est bien. Mais en gouvernance (comme en presque tout d’ailleurs), à un moment donné on se doit de décider pour remplir notre mandat. Je répète souvent à mes partenaires d’affaires que :

« On a des objectifs communs, mais des intérêts divergents… »


C’est pourquoi la décision qui vient d’être invalidée était si pernicieuse. Elle ne permettait plus de savoir sur quelle base colloquer les divers intérêts divergents auxquels un administrateur est constamment confronté. Inchangée, une telle décision auraient amenée les tribunaux à délibérer pendant des années pour délimiter la valeur relative des intérêts des employés versus ceux des créanciers et ceux des autres parties intéressés. Une jurisprudence aurait fini par s’établir, mais non sans avoir permis d’écorcher au passage plusieurs administrateurs. Ces derniers voulant accomplir leur rôle comme auparavant, pourraient omettre de considérer tel ou tel tiers dans une décision, et ce faisant commettre une faute passible de poursuite (ou du moins de réclamation).

Les droits d’actionnaires

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les actionnaires ont très peu de droits, lesquels se résument à :

  • Voter (en assemblée générale), notamment pour nommer les :
  1. vérificateurs; et les
  2. administrateurs;
  • Recevoir:
  1. leur quote-part des profits et du reliquat; et
  2. les états financiers (pas même de les approuver).

C’est pourquoi, lorsque ces propriétaires confient la supervision de la gestion de leur entreprise à un groupe restreint d’individus (soit les membres du CA) à titre d’agents, ils sont en droit de s’attendre à ce qu’ils prennent leurs intérêts à cœur et qu’ils les fassent fructifier du mieux possible.

Mais comment peut-on rester entre l’arbre et l’écorce ? Comment avoir le beurre et l’argent du beurre ? Les intérêts qui divergents sont partout en entreprise et les CA doivent connaître les limites de leurs obligations envers les tiers lorsqu’ils doivent prendre une décision. Des exemples :

  1. Si la fermeture d’une usine est envisagée, doivent-ils s’assurer de ne pas permettre d’impact négatif (car c’est de cela qu’il s’agit) sur les employés et leurs familles ? ou sur la municipalité à qui ils payaient des taxes jusqu’à présent ?
  2. S’ils pensent approuver le lancement d’un nouveau produit, doivent-ils considérer les conséquences défavorables sur ceux qui fabriquaient l’ancien, ou même à la limite, sur les concurrents que l’on risque de déranger ?

À l’extrême, la notion de détenteur d’intérêts est sans limite. Bien qu’il soit au goût du jour de se préoccuper du sort de ceux que l’on « dérange », à mon avis, si les actions envisagées sont des pratiques d’affaires courantes et qu’elles vont dans le sens de créer de la valeur pour les actionnaires, les administrateurs devraient pouvoir les approuver.

La règle d’or

Une façon pour un CA de gérer ce nouveau contexte serait d’appliquer la règle suivante :

  • Entre deux options ayant le même niveau d’impacts négatifs sur des tiers, l’administrateur avisé devrait retenir celle qui permet de créer le plus de valeur pour les actionnaires;
  • Entre deux options permettant de créer des niveaux équivalents de valeur ajoutée, l’administrateur avisé devrait retenir celle ayant le moins d’impacts négatifs sur des tiers;

Les motifs au support de la décision de la Cour Suprême seront éventuellement connus et permettront de mieux comprendre les raisonnements qui ont été retenus. Mais, on comprend déjà qu’elle a refusé de reconstruire les prémisses du droit en matière de régie d’entreprise pour accommoder une situation, qui bien que désolante pour certains investisseurs, ne justifiait pas de remettre en question les fondations du concept de gouvernance.

-30-

#36 - Bulletin AMBAQ d'août-sept 2008

dimanche 1 juin 2008

Sommes-nous rendus en Égypte ?

Ceux qui me connaissent, savent que je gérais jusqu’à tout récemment, une équipe responsable d’investir dans des entreprises manufacturières, souvent exportatrices et spécialisées dans les produits métalliques. Vous savez, ces compagnies dont on ne cesse de parler et de plaindre par les temps qui courent.

Telles les 10 plaies d’Égypte, la série de calamités qui s’abat sur ces compagnies depuis quelques années ne semble avoir de cesse. À un point tel, que je me demande si quelqu’un en haut n’est pas en train de nous rejouer un vieux tour.

Je me suis donc attardé à faire quelques analogies avec cette histoire biblique, en répertoriant certaines de ces épreuves qui ont affligé mes partenaires d’affaires depuis 10 ans. L’ordre chronologique et les associations pourront parfois vous sembler inadéquats, mais je me suis permis quelques accommodements raisonnables…

1. Les eaux du fleuve changées en sang « rouge » : ou l’arrivée massive de produits moins dispendieux en provenance de concurrents chinois (et asiatiques).

Utilisant une main d’œuvre à très bas coût et n’ayant pas à assumer les coûts sociétaux auxquels nos entreprises doivent s’astreindre, ils arrivent à nous concurrencer et ce, malgré la grande distance qui les séparent de nos marchés nationaux et d’exportation. C’est donc un secteur à la fois qu’ils envahissent nos marchés. Il faut craindre le jour ou ils maîtriseront le design et la commercialisation.

2. Les grenouilles : ou les scandales financiers et de gouvernance à répétition qui ont miné notre confiance dans le système et accru notre cynisme collectif.

Maintenant gravés dans nos esprits, les noms de WorldCom et Enron sont devenus des symboles éponymes d’une série de scandales affligeants les principales économies et qui nous ont par la suite frappée localement. On n’a qu’à penser à : Cinar, Nortel, Commandites, Norbourg, PCAA, …

3. Les poux : ou la hausse fulgurante de notre dollar face à celui de notre principal partenaire d’affaires.

Parti d’un sommet où il trônait à $1,60 versus notre faible dollar canadien, le dollar US a attrapé des poux en 2004. Et plus il en avait, plus il chutait, jusqu’à atteindre un creux de $0.92 en octobre 2007. Dans les faits, ceci représentait une hausse de près de 75% en 4 ans de la valeur de notre monnaie. Notre capacité à compétitionner nos voisins américains s’en est trouvée lourdement affectée[1]. Notre seul espoir, c’est qu’un huard ça s’envole, mais parfois ça plonge aussi.

4. Les mouches : dans la même lignée, la hausse encore plus marquée du prix du pétrole.

Combinée à des conditions de marché fragiles (quant à l’offre et la demande), la faiblesse soudaine du dollar US a eu comme conséquence additionnelle notamment d’affecter le prix du pétrole. Le prix de référence du bon vieux baril (qui était plutôt stable depuis 20 ans en dollar constant) a grimpé, cent par cent, d’environ $40 à $120 en 3 ans. Les coûts de fabrication des composantes, mais surtout de transport chez nos clients éloignés, en ont subi les contrecoups. Chaque jour qui passe, on entend les gens se plaindre du prix élevé de l’essence, peut-être que finalement le buzzz des Hummers va diminuer jusqu’à disparaître.

5. La mort des troupeaux : ou les pertes d’emplois suite aux déménagements et relocalisations de nos usines dans des pays et économies dites émergentes.

Nos donneurs d’ordre ont-ils vraiment le choix ? Pour maintenir leur compétitivité et garder leurs clients, ils se doivent d’abaisser le coût de leurs produits finis, souvent en y intégrant des pièces fabriquées ailleurs à moindre prix. Résultat pour nous, de plus en plus de pièces et sous-ensembles utilisés dans nos camions, avions, trains, autobus et autres produits manufacturiers, autrefois entièrement fabriqués ici, sont maintenant produites ailleurs et assemblées ici (notez la différence…).

6. Les ulcères : les vrais, les miens et ceux des dirigeants d’entreprises manufacturières et exportatrices.

Sans vouloir tabler mes états de santé, au cours des 4 dernières années, comme beaucoup d’autres de plus en plus préoccupés par la situation, je suis passé d’un bon vieux TUMBS de temps en temps, au Zantac régulièrement (maintenant en vente libre), au PrevAcid journalièrement (disponible sur prescription). On oublie le bobo, mais il ne guérit pas.

7. La grêle : ou les impacts évidents des changements climatiques, des guerres et autres menaces terroristes.

Certains osent prétendre que le système est maintenant en état d’instabilité, que les effets de l’homme sur son environnement sont incommensurables et irréversibles. Que ce soit les inondations, vagues de chaleur ou chutes de neige incroyables, qu’on parle de normes anti-terroristes, contrôles frontaliers ou craintes d’attentats, notre entrepreneur doit composer avec ces nouvelles distractions (lire : temps et coûts) dans son processus de production et pour leurs impacts sur ses clients.

8. Les sauterelles : le dernier venu, les sauts à la hausse du prix de l’acier (et des métaux).

L’acier est une commodité dont le prix est dicté par les conditions de marché. Le prix demeuré stable pendant des décennies, s’est soudainement mis à monter et baisser comme un yo-yo (ou une sauterelle, c’est selon). L’essor chinois a créé une forte pression sur la demande des aciéries mondiales, de telle sorte qu’elles sont actuellement en mesure d’exiger de meilleurs prix pour leurs produits partout dans le monde. Le pire est que, pour s’ajuster, la Chine a construit pleins de nouvelles usines très performantes et devrait, dans un avenir rapproché, devenir un exportateur net d’acier. Auquel cas, on risque de remplacer une calamité par une autre. Entre-temps, notre exportateur québécois est confronté (depuis quelques mois) à une hausse de 40% d’un élément composant une portion significative du coût de fabrication de ses produits.

Est-ce l’heure des ténèbres ?

J’ai peur des mois et années à venir. Que nous réservent-ils en terme de perte d’emplois et d’industries ? Nous sommes probablement à l’aube des ténèbres, cette récession mondiale tant appréhendée. En tant que société, allons nous agir ou simplement attendre la mort de nos premiers-nés (la 10ème et dernière des plaies d’Égypte) ? Nos entreprises manufacturières exportatrices qui constituent les fleurons de notre économie sont sous attaque. Que peut-on faire ? Que sommes-nous prêts à faire collectivement pour nous défendre ?

À défaut d’actions concrètes et rapides de nos divers niveaux de gouvernements (une politique d’achat chez nous serait un bon début), je pense qu’il est grand temps de tenir un sommet sur l’avenir de l’industrie manufacturière au Québec. Tous les acteurs devront se concerter pour dégager des nouvelles façons de faire et adopter les meilleures pratiques en terme d’efficacité, de productivité et de gestion, si on veut conserver cette portion d’industrie si importante pour notre avenir collectif.


[1] « Vous voyez là une augmentation de la monnaie de 73 %. [...] En d'autres mots, ça veut dire que les salaires canadiens, en comparaison avec les salaires américains [...] se sont accrus de 73 % en 4 ans. » affirmait Stephen Jarislowsky dans une entrevue avec le service des nouvelles de Radio-Canada le 7 novembre 2007

-30-

#35 - Bulletin AMBAQ de Juin-Juillet 2008

jeudi 1 mai 2008

Affichez vos couleurs $$$

Plusieurs ont été étonnés d’apprendre récemment que des chefs de partis politiques, insatisfaits de la rémunération payée pour accomplir leur fonction de Premier Ministre (ou de chef de l’opposition), avaient eu recours à des « Suppléments de Revenus » et autres clauses de « Revenu Minimum Garanti ». J’aurais pourtant cru que ces arrangements étaient supposés être l’affaire de gens moins bien nantis ?

Les instances du PLQ, de l’ADQ et du PCC, avec Jean Charest, Mario Dumont, et Brian Mulroney (et du PQ[1] avec André Boisclair) ont tour à tour jugé nécessaire de verser des sommes qui s’additionnaient aux avantages normalement conférés au poste, pour permettre à leur chef respectif d’avoir une rémunération commensurable à leur stature. L’avenir nous apprendra si d’autres cas seront révélés, mais est-ce normal ?

Comme le thème du mois porte sur les médias, je ferai un lien entre cette question et un sujet chaud en gouvernance, soit la divulgation et l’établissement de la rémunération des administrateurs. Vous serez étonnés de constater qu’à cet égard, il existe beaucoup de similitudes entre l’enjeu lié au poste d’administrateur et de politicien.

De la rémunération

Comment arrive t-on à justifier qu’un sous-ministre gagne plus que le Premier ? Que le patron du PDG (le président du conseil) gagne 5% du salaire de celui-ci ? Pourquoi a-t-on si peur de payer la vraie valeur d’un poste ?
  • Beaucoup pensent que ces postes sont déjà très bien rémunérés et peu de voix s’élèvent pour affirmer le contraire ;
  • Certains contestent la valeur de la contribution de ces individus et leur capacité à vraiment aider à changer les choses pour le mieux ;
  • Même si les risques et les responsabilités se sont accrus, il ne manque pas de candidats (quoi que +/- expérimentés…) désireux d’accepter les postes disponibles ;
  • Si on augmentait la rémunération des dits postes, il y aurait encore plus de volontaires désireux d’avoir la « job ». Mais certaines personnes médisantes prétendront que ceux qui seront attirés par cette rétribution améliorée ne seraient pas nécessairement ceux que l’on chercherait à recruter.

Il y a probablement beaucoup de cynisme lié à cette analyse. Pour ma part, je continue de croire que l’on doit offrir aux administrateurs et aux politiciens, une rémunération raisonnable eue égard aux risques assumés et aux responsabilités associées à la fonction. Ceci, malgré le fait que certains se portent volontaires pour agir bénévolement (mon vieux mantra de « Pay peanuts, Get monkeys »). Le fait de payer conférant aux actionnaires (et électeurs) le droit d’exiger d’eux un certain niveau de performance.

De la divulgation

Vous vous rappelerez sans doute les combats épiques que certains activistes ont mené aux assemblées d’actionnaires. Celles-ci ont éventuellement mené à l’obligation pour les sociétés ouvertes de divulguer de l’information quant à la nature et l’ampleur de la rémunération des hauts dirigeants et maintenant des administrateurs. Les CA plaidaient alors (tout comme on l’a entendu récemment pour les politiciens) que :

  • Ils n’étaient pas tenus de le déclarer ;
  • Il s’agissait d’information de nature privée et personnelle ;
  • La méthode de calcul était de nature confidentielle et stratégique.

Mais on ne peut empêcher ni les sociétés ni les partis de choisir de rétribuer ceux qui les dirigent, après tout, c’est leur argent, ils ont le droit d’en disposer comme bon leur semble.

Après plusieurs années de divulgation, on s’est rendu compte qu’il est non seulement important d’être transparent quant au combien et au qui, mais qu’il faut également porter attention à la rémunération globale (salaire, bonis, options, retraite, …). On a aussi compris qu’il faut divulguer les méthodes d’élaboration des volets de rémunération incitative pour s’assurer d’un enlignement d’intérêt avec les actionnaires et d’un focus sur la création de valeur.

Mon seul bémol étant que je crois que la divulgation a initialement mené à une course entre les meilleurs joueurs (un peu comme dans le sport professionnel) qui a contribué à créer une spirale inflationiste.

De la transparence

Nos politiciens ont appris à la dure que ce que l’on cache finit souvent par se savoir et qu’alors, il en faut très peu pour que tout devienne enrobé d’une certaine odeur de scandale. Surtout que cette dernière est extrêmement difficile à dissiper à posteriori. Une politique prônant la transparence avec ses partenaires est généralement gagnante.

Comme société, nous devrions accepter qu’il est préférable que ceux qui représentent nos intérêts soient suffisamment payés pour leur contribution, de façon à éviter qu’ils tentent par toute sorte de moyen détournés de faire en sorte d’atteindre leurs objectifs. Et comme ils seront payés adéquatement, nous serons en mesure d’exiger d’eux une gestion à la fois efficace et efficiente et d’un certain niveau.


[1] Pour le PQ, leur chef n’occupait pas de siège électif et conséquemment, n’avait pas de salaire à titre de député et l’arrangement avait été divulgué.

-30-

#34 - Bulletin AMBAQ de Mai 2008

mardi 1 avril 2008

Un conseil minceur !

La notion de « Lean Manufacturing » mise en lien avec la gouvernance m’a fait réfléchir sur la taille idéale d’un CA.

Je me suis demandé à quand remontait ma dernière discussion sur le sujet au sein d’un CA ? J’ai du me rabattre sur de vagues souvenirs d’entretiens rapides entre actionnaires qui visaient généralement à me convaincre de restreindre le nombre d’administrateurs à nommer. En effet, l’entrepreneur qui vise à garder le plus de contrôle sur son opération voudra (à tort ou à raison) limiter le nombre de personnes pouvant avoir droit au chapitre.

Au fil des ans j’ai constaté que certains chiffres semblaient plus adaptés que d’autres aux diverses situations. Ainsi le Tableau A présente un sommaire de ce que je considère être le nombre d’administrateurs idéal pour un CA en fonction de la taille de l’entreprise. Les statistiques les plus récentes[1] sur les sociétés ouvertes du Québec vont dans le même sens avec une moyenne de 11 membres sur le conseil des 50 plus importantes entreprises au Québec.

Tableau A

Pour ma part, lorsque possible, j’ai tendance à viser un groupe de 7 personnes, lequel m’apparaît indiqué dans la majorité des cas; permettant un équilibre raisonnable entre les tâches à accomplir, les ressources disponibles et la gestion des agendas (pas toujours facile).

Quelques études ont tenté de démontrer l’influence de la taille d’un conseil sur son efficacité, mais aucune de celles que j’ai répertoriées n’a trouvé de corrélation forte (dans un sens, comme dans l’autre).

Par contre, je me suis permis de faire une liste des avantages qui militent en faveur de chacune des 2 options (Tableau B). Pour les inconvénients, amusez-vous à imaginer le contraire des avantages de l’autre.
Tableau B

Je peux également ajouter quelques remarques générales et autres considérations à l’intention du dirigeant qui se questionne sur le sujet :
  • Le nombre est moins important que la disponibilité et l’implication individuelle des administrateurs.
  • Commencer plus petit et progresser vers plus grand;
  • Un nombre impair d’administrateurs demeure préférable afin d’éviter les impasses décisionnelles;
  • Plus on est nombreux, plus quelqu’un est susceptible de croire qu’un d’autre est responsable de la tâche à accomplir;
  • Ne pas oublier qu’on risque d’avoir 1 ou 2 observateurs avec droit de parole et qui s’ajoutent au total.
  • Je recommande toujours de nommer un avocat à titre de secrétaire corporatif qui n’est pas administrateur (pour ne pas embourber un des membres. Ça en fait donc un de plus.
  • Finalement, il ne faut pas oublier nos visiteurs occasionnels (haute direcion) qui viendront présenter les indicateurs de performance leurs secteurs tour à tour

Certains CA deviennent si gros qu’on considère alors la formation d’un comité exécutif (décisionnel). Pour moi c’est un Big no no !!! à moins de vouloir faire du Beni Oui Oui !!! C’est la meilleure façon de générer un sentiment d’exclusion et d’inutilité chez les administrateurs restants.

Donc, s’il n’y a pas de taille idéale, ni de conseil minceur qui sied à toutes les situations (« one size fits all »), si vous devez débuter un régime, l’important est d’adopter celui de la « bonne gouvernance ».


[1] Spencer Stuart et IGOPP, Quebec Board Index 2006

-30-

#33 - Bulletin AMBAQ d'Avril 2008

vendredi 1 février 2008

A, B, C, P… Oupsss !

On est maintenant familier avec la crise vécue par plusieurs investisseurs qui ont acheté des ABCP (« Asset Backed Commercial Paper ») communément appelés en français des PCAA. En gros, des clients d’institutions financières réputées ont acheté des placements court-terme très bien cotés par les agences de crédit canadiennes, et dont le nom laissait croire qu’il s’agissait là de papiers garantis par des actifs (voir Tableau A[1]).

Tableau A


Dans les faits, en tentant de comprendre le problème, on a appris que des promoteurs, partant du concept connu, y ont intégré à la fois effet de levier et autres subtilités nouveau genre qui ont rendu l’appariement déficient, et ont ainsi offert des papiers couverts par une structure de garantie diluée par un facteur pouvant aller jusqu’à 10 pour 1 (voir Tableau B). Ceci probablement à l’insu de la majorité des individus qui ont accepté de les acheter, pour un rendement légèrement plus élevé que celui des obligations sans risque.

Tableau B


On connaît la suite, la crise de liquidité causée par les hypothèques à risque, a fait en sorte que la valeur des fonds, constitués de PCAA (dont certains incluaient des créances hypothécaires) et qui n’arrivaient plus à renouveler leurs papiers, a plongé en chute libre.

Je suis assez critique envers les investisseurs professionnels ou institutionnels qui se sont retrouvés dans l’eau chaude après avoir acheté (ou vendus) de tels placements pour quelques BIPS de plus (« basis points »). C’est leur métier de comprendre ce qu’ils achètent et certains indices auraient dû les alerter, par exemple :
  • La complexité des instruments;
  • Leur évaluation longue et difficile, à preuve, le refus des agences américaines de crédit de les coter;
  • Leur liquidité insuffisante;

Pour ce qui est des gestionnaires chargés de placer les excédents de liquidités de leurs entreprises, à moins qu’ils ne possèdent un niveau de sophistication exceptionnel, on doit être clément à leur égard.

Maintenant, du coté des coupables usuels, plusieurs administrateurs se sont fait pointer du doigt pour les pertes subies ou à venir et je me suis questionné à savoir s’ils auraient du être en mesure d’éviter une telle situation ?

Pour y répondre, je me suis demandé s’il était raisonnable pour un administrateur de douter de la banque de la compagnie, qui lui vend un papier garanti et duquel on dit qu’il est coté AAA ? Généralement sur un CA, on a d’autres problèmes plus urgents à débattre.

J’en conclu donc que seul un instinct hors du commun, ou des connaissances très particulières du marché des instruments financiers, aurait pu soulever un doute chez l’administrateur siégeant sur un comité de gestion des risques (incluant les placements) ou sur un CA qui devait autoriser une telle stratégie de placement.

Que peut-on faire pour tenter de se prémunir contre de telle situation ? À moins d’être prêt à tomber dans le contrôle à l’excès, très peu, à mon avis… Les rôles d’administrateur incluent déjà suffisamment de devoirs de diligence. Si on tente d’éviter tout ce qui est risqué, on finit par vouloir tout contrôler et ce faisant, on se frappe à la porte de l’ingérence dans la gestion et du micro-management.

Par contre, certains administrateurs plus expérimentés n’ont pas hésité à appeler leur PDG dès les premières rumeurs de problèmes et conclu avec eux qu’il valait mieux se départir de ces placements suspects. Ceux qui ont agit ainsi ont été épargnés en grande partie.

Alors, la prochaine fois, si vous n’êtes pas en mesure de vous faire expliquer en des mots simples la nature des instruments financiers que vous acheter, laissez passer…


[1] Deloitte, The Directors’ Series : Réagir au bouleversement externe : l’effondrement du marché des prêts hypothécaires à risque, oct. 2007

-30-

#32 - Bulletin AMBAQ de février 2008

mardi 1 janvier 2008

La voyoucratie

Certains d’entre vous qui connaissent la compagnie EADS, le fabricant européen des avions Airbus, auront entendu parlé des déboires de l’entreprise liés au lancement de leur dernier modèle : le A380. Des retards dans le design et des problèmes techniques ont amené des cancellations de commandes, retardé la production et éventuellement, la livraison des premières unités aux clients de plus de 18 mois. Mais plus récemment, l’entreprise a fait les manchettes pour de toutes autres raisons.

Ainsi, cette compagnie publique Franco-Allemande, dont 15% du capital appartient à l’état français et un autre 15% est détenu par Dailmer-Chrysler et Le Groupe Lagardère, a vu la valeur de son titre plonger en bourse de plus de 25% (en juin 2006) en une seule scéance suite à l’émission d’un avis d’alerte (« profit warning ») faisant état des conséquences financières de ces retards.

Le scandale

Jusque là, rien d’exceptionel dans le monde des affaires. Mais suite à des plaintes de petits actionnaires, l’Autorité des Marchés Financiers (l’AMF francaise, qui a sensiblement le même rôle que la nôtre) a fait enquête et produit un rapport dont les conclusions ont été coulées et rendues publiques le 3 octobre dernier par Le Figaro. Titrant un « délit d’initiés massif », le rapport d’enquête affirme que près de 1,200 initiés (des gens possédant des informations confidentielles et non connues du marché et des investisseurs) auraient vendu plus de 10 millions d’actions, alors que le cours était à son sommet (donc avant l’avis) et alors qu’ils connaissaient la situation liée aux retards et ses impacts financiers. Ils auraient ainsi communément réalisés quelques 100 millions d’euros de plus-value dans les mois précédant la débâcle (en plus d’éviter la décote subséquente). On y apprend aussi que plusieurs des actions ont été transigées par des employés qui venaient de les acquérir suite à l’exercice d’options d’achat d’actions.

Au support de ses conclusions, l’AMF note que la plupart de ces initiés n’avaient jamais vendu de titres auparavant et n’en ont pas acheté dans les semaines précédant l’avis.

Les conséquences

Certains d’entre vous se rappelleront ma chronique d’il y a trois ans dans laquelle je racontais qu’un comité du CA d’Hollinger, enquêtant sur les agissements de Sir Conrad Black, avait inventé un néologisme pour qualifier l’attitude qui prévalait au sein de la direction du groupe en la qualifiant d’un régime de « cleptocratie corporative ». Et bien j’ai découvert la version franco-française du terme en lisant sur le rôle du gouvernement et de ses agences dans ce scandale, on y parle de « voyoucratie ».

En effet, d’aucuns s’intérrogent à savoir comment autant d’employés, dirigeants, actionnaires, actionnaires et fonctionnaires (l’état étant le plus gros actionnaire) pouvaient être au courant de la situation et sans que l’état n’exige du conseil d’administration de l’entreprise qu’elle en avise les marchés financiers.

On peut s’attendre à ce qu’il y ait une enquête politico-juridique qui va s’éterniser en tentant d’entraîner un maximum de gens dans le tourbillon du scandale.

Nicolas Sarkosy a déjà annoncé l’intention du gouvernement de réformer la fiscalité des régimes d’options d’achat d’actions pour empêcher les abus, mais comment ?

Les autres partis politiques parlent de manque de transparence, de complicité avec la droite (financière) et de délit de « défaut d’information » de la part du gouvernement.

Entre temps, les syndicats sont aux abois, car pour revitaliser son image et sa valeur en bourse, EADS a entrepris une restructuration qui aura comme conséquence notamment d’abolir près de 10,000 emplois.

Mais trouver des coupables dans une « fraude » d’une telle ampleur va s’avérer complexe. En effet, comment prétendre que l’information était confidentielle, si tant de gens la connaissait ? Comment attribuer (et partager) la responsabilité de la faute à 1,200 individus, ayant des niveaux de connaissance très différents ?

La leçon à retenir est que lorsqu’une information est matérielle, le CA d’une société ouverte se doit de la partager avec l’ensemble des investisseurs sur le marché dès que possible, de façon à éviter de créer des opportunités de délit, que certains risquent de vouloir saisir. Dans un tel cas, on peut présumer qu’ils se verront attribuer une part importante de responsabilité dans ce scandale.

-30-

#31 - Bulletin AMBAQ de Décembre-Janvier 2008