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Président de Lacroix Groupe Conseil à Montréal, une firme qui offre des services de consultation stratégique en gouvernance, l’auteur était jusqu'à tout récemment, Vice-président investissements au Fonds de Solidarité FTQ et Vice-président du chapitre québécois de l’IAS. **** Les chroniques qui apparaissent dans ce blog sont rédigées puis publiées dans le bulletin mensuel de l'Association des MBA du Québec. À noter qu'elles ne reflètent que l'opinion de l’auteur **** Vous pouvez également obtenir plus d'infos sur certains des services en gouvernance que Lacroix Groupe Conseil est en mesure de vous offrir en allant voir le site web à : http://www.lacroixconseil.com

vendredi 1 août 2008

Reconstruire l’histoire !

Oufffff… lorsque cette chronique sera publiée, je ne sais pas si la transaction de vente de BCE sera confirmée, renégociée ou autrement annulée, ni même si la Cour Suprême aura motivé sa récente décision, mais je sais que la grande majorité des administrateurs de sociétés auront poussé un gros soupir de soulagement. Je dis la « grande majorité » parce que j’exclus les avocats qui, dans le cadre de leur pratique professionnelle, entrevoyaient déjà un énorme « party d’honoraires » pour au moins quelques années à venir, investies à redéfinir la jurisprudence liée à la gouvernance.

La décision

J’avais prévu traiter du sujet dans cette dernière édition de la saison (et ce, peu importe où en était rendu la cause) mais je suis plutôt heureux que la Cour ait rendue une décision aussi rapidement. Au premier chef, pour avoir choisi de reculer sur un jugement antérieur mal fondé (selon moi), qui ne laissait entrevoir qu’incertitude et indécision. Au second chef, pour empêcher que des précédents ne soient créés et que des administrateurs de sociétés, confrontés à des décisions importantes se trouvent dans une situation où ils n’auraient pas su sur quel pied danser. Et finalement, parce que j’aurais dû ré-écrire le chapitre de mon cours de gouvernance portant sur l’imputabilité des administrateurs et ce, sans trop savoir quoi transmettre comme nouveau message.

Car telle était l’ampleur de la décision rendue par la Cour Supérieure du Québec qui avait statuée que le CA de BCE devait se préoccuper d’intérêts autres que ceux des actionnaires dans leur décision liée à l’offre de privatisation. Vous me direz qu’il y avait une certaine logique à demander de réfléchir aux conséquences d’une décision sur des tiers et c’est bien. Mais en gouvernance (comme en presque tout d’ailleurs), à un moment donné on se doit de décider pour remplir notre mandat. Je répète souvent à mes partenaires d’affaires que :

« On a des objectifs communs, mais des intérêts divergents… »


C’est pourquoi la décision qui vient d’être invalidée était si pernicieuse. Elle ne permettait plus de savoir sur quelle base colloquer les divers intérêts divergents auxquels un administrateur est constamment confronté. Inchangée, une telle décision auraient amenée les tribunaux à délibérer pendant des années pour délimiter la valeur relative des intérêts des employés versus ceux des créanciers et ceux des autres parties intéressés. Une jurisprudence aurait fini par s’établir, mais non sans avoir permis d’écorcher au passage plusieurs administrateurs. Ces derniers voulant accomplir leur rôle comme auparavant, pourraient omettre de considérer tel ou tel tiers dans une décision, et ce faisant commettre une faute passible de poursuite (ou du moins de réclamation).

Les droits d’actionnaires

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les actionnaires ont très peu de droits, lesquels se résument à :

  • Voter (en assemblée générale), notamment pour nommer les :
  1. vérificateurs; et les
  2. administrateurs;
  • Recevoir:
  1. leur quote-part des profits et du reliquat; et
  2. les états financiers (pas même de les approuver).

C’est pourquoi, lorsque ces propriétaires confient la supervision de la gestion de leur entreprise à un groupe restreint d’individus (soit les membres du CA) à titre d’agents, ils sont en droit de s’attendre à ce qu’ils prennent leurs intérêts à cœur et qu’ils les fassent fructifier du mieux possible.

Mais comment peut-on rester entre l’arbre et l’écorce ? Comment avoir le beurre et l’argent du beurre ? Les intérêts qui divergents sont partout en entreprise et les CA doivent connaître les limites de leurs obligations envers les tiers lorsqu’ils doivent prendre une décision. Des exemples :

  1. Si la fermeture d’une usine est envisagée, doivent-ils s’assurer de ne pas permettre d’impact négatif (car c’est de cela qu’il s’agit) sur les employés et leurs familles ? ou sur la municipalité à qui ils payaient des taxes jusqu’à présent ?
  2. S’ils pensent approuver le lancement d’un nouveau produit, doivent-ils considérer les conséquences défavorables sur ceux qui fabriquaient l’ancien, ou même à la limite, sur les concurrents que l’on risque de déranger ?

À l’extrême, la notion de détenteur d’intérêts est sans limite. Bien qu’il soit au goût du jour de se préoccuper du sort de ceux que l’on « dérange », à mon avis, si les actions envisagées sont des pratiques d’affaires courantes et qu’elles vont dans le sens de créer de la valeur pour les actionnaires, les administrateurs devraient pouvoir les approuver.

La règle d’or

Une façon pour un CA de gérer ce nouveau contexte serait d’appliquer la règle suivante :

  • Entre deux options ayant le même niveau d’impacts négatifs sur des tiers, l’administrateur avisé devrait retenir celle qui permet de créer le plus de valeur pour les actionnaires;
  • Entre deux options permettant de créer des niveaux équivalents de valeur ajoutée, l’administrateur avisé devrait retenir celle ayant le moins d’impacts négatifs sur des tiers;

Les motifs au support de la décision de la Cour Suprême seront éventuellement connus et permettront de mieux comprendre les raisonnements qui ont été retenus. Mais, on comprend déjà qu’elle a refusé de reconstruire les prémisses du droit en matière de régie d’entreprise pour accommoder une situation, qui bien que désolante pour certains investisseurs, ne justifiait pas de remettre en question les fondations du concept de gouvernance.

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#36 - Bulletin AMBAQ d'août-sept 2008