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Président de Lacroix Groupe Conseil à Montréal, une firme qui offre des services de consultation stratégique en gouvernance, l’auteur était jusqu'à tout récemment, Vice-président investissements au Fonds de Solidarité FTQ et Vice-président du chapitre québécois de l’IAS. **** Les chroniques qui apparaissent dans ce blog sont rédigées puis publiées dans le bulletin mensuel de l'Association des MBA du Québec. À noter qu'elles ne reflètent que l'opinion de l’auteur **** Vous pouvez également obtenir plus d'infos sur certains des services en gouvernance que Lacroix Groupe Conseil est en mesure de vous offrir en allant voir le site web à : http://www.lacroixconseil.com

dimanche 1 juin 2008

Sommes-nous rendus en Égypte ?

Ceux qui me connaissent, savent que je gérais jusqu’à tout récemment, une équipe responsable d’investir dans des entreprises manufacturières, souvent exportatrices et spécialisées dans les produits métalliques. Vous savez, ces compagnies dont on ne cesse de parler et de plaindre par les temps qui courent.

Telles les 10 plaies d’Égypte, la série de calamités qui s’abat sur ces compagnies depuis quelques années ne semble avoir de cesse. À un point tel, que je me demande si quelqu’un en haut n’est pas en train de nous rejouer un vieux tour.

Je me suis donc attardé à faire quelques analogies avec cette histoire biblique, en répertoriant certaines de ces épreuves qui ont affligé mes partenaires d’affaires depuis 10 ans. L’ordre chronologique et les associations pourront parfois vous sembler inadéquats, mais je me suis permis quelques accommodements raisonnables…

1. Les eaux du fleuve changées en sang « rouge » : ou l’arrivée massive de produits moins dispendieux en provenance de concurrents chinois (et asiatiques).

Utilisant une main d’œuvre à très bas coût et n’ayant pas à assumer les coûts sociétaux auxquels nos entreprises doivent s’astreindre, ils arrivent à nous concurrencer et ce, malgré la grande distance qui les séparent de nos marchés nationaux et d’exportation. C’est donc un secteur à la fois qu’ils envahissent nos marchés. Il faut craindre le jour ou ils maîtriseront le design et la commercialisation.

2. Les grenouilles : ou les scandales financiers et de gouvernance à répétition qui ont miné notre confiance dans le système et accru notre cynisme collectif.

Maintenant gravés dans nos esprits, les noms de WorldCom et Enron sont devenus des symboles éponymes d’une série de scandales affligeants les principales économies et qui nous ont par la suite frappée localement. On n’a qu’à penser à : Cinar, Nortel, Commandites, Norbourg, PCAA, …

3. Les poux : ou la hausse fulgurante de notre dollar face à celui de notre principal partenaire d’affaires.

Parti d’un sommet où il trônait à $1,60 versus notre faible dollar canadien, le dollar US a attrapé des poux en 2004. Et plus il en avait, plus il chutait, jusqu’à atteindre un creux de $0.92 en octobre 2007. Dans les faits, ceci représentait une hausse de près de 75% en 4 ans de la valeur de notre monnaie. Notre capacité à compétitionner nos voisins américains s’en est trouvée lourdement affectée[1]. Notre seul espoir, c’est qu’un huard ça s’envole, mais parfois ça plonge aussi.

4. Les mouches : dans la même lignée, la hausse encore plus marquée du prix du pétrole.

Combinée à des conditions de marché fragiles (quant à l’offre et la demande), la faiblesse soudaine du dollar US a eu comme conséquence additionnelle notamment d’affecter le prix du pétrole. Le prix de référence du bon vieux baril (qui était plutôt stable depuis 20 ans en dollar constant) a grimpé, cent par cent, d’environ $40 à $120 en 3 ans. Les coûts de fabrication des composantes, mais surtout de transport chez nos clients éloignés, en ont subi les contrecoups. Chaque jour qui passe, on entend les gens se plaindre du prix élevé de l’essence, peut-être que finalement le buzzz des Hummers va diminuer jusqu’à disparaître.

5. La mort des troupeaux : ou les pertes d’emplois suite aux déménagements et relocalisations de nos usines dans des pays et économies dites émergentes.

Nos donneurs d’ordre ont-ils vraiment le choix ? Pour maintenir leur compétitivité et garder leurs clients, ils se doivent d’abaisser le coût de leurs produits finis, souvent en y intégrant des pièces fabriquées ailleurs à moindre prix. Résultat pour nous, de plus en plus de pièces et sous-ensembles utilisés dans nos camions, avions, trains, autobus et autres produits manufacturiers, autrefois entièrement fabriqués ici, sont maintenant produites ailleurs et assemblées ici (notez la différence…).

6. Les ulcères : les vrais, les miens et ceux des dirigeants d’entreprises manufacturières et exportatrices.

Sans vouloir tabler mes états de santé, au cours des 4 dernières années, comme beaucoup d’autres de plus en plus préoccupés par la situation, je suis passé d’un bon vieux TUMBS de temps en temps, au Zantac régulièrement (maintenant en vente libre), au PrevAcid journalièrement (disponible sur prescription). On oublie le bobo, mais il ne guérit pas.

7. La grêle : ou les impacts évidents des changements climatiques, des guerres et autres menaces terroristes.

Certains osent prétendre que le système est maintenant en état d’instabilité, que les effets de l’homme sur son environnement sont incommensurables et irréversibles. Que ce soit les inondations, vagues de chaleur ou chutes de neige incroyables, qu’on parle de normes anti-terroristes, contrôles frontaliers ou craintes d’attentats, notre entrepreneur doit composer avec ces nouvelles distractions (lire : temps et coûts) dans son processus de production et pour leurs impacts sur ses clients.

8. Les sauterelles : le dernier venu, les sauts à la hausse du prix de l’acier (et des métaux).

L’acier est une commodité dont le prix est dicté par les conditions de marché. Le prix demeuré stable pendant des décennies, s’est soudainement mis à monter et baisser comme un yo-yo (ou une sauterelle, c’est selon). L’essor chinois a créé une forte pression sur la demande des aciéries mondiales, de telle sorte qu’elles sont actuellement en mesure d’exiger de meilleurs prix pour leurs produits partout dans le monde. Le pire est que, pour s’ajuster, la Chine a construit pleins de nouvelles usines très performantes et devrait, dans un avenir rapproché, devenir un exportateur net d’acier. Auquel cas, on risque de remplacer une calamité par une autre. Entre-temps, notre exportateur québécois est confronté (depuis quelques mois) à une hausse de 40% d’un élément composant une portion significative du coût de fabrication de ses produits.

Est-ce l’heure des ténèbres ?

J’ai peur des mois et années à venir. Que nous réservent-ils en terme de perte d’emplois et d’industries ? Nous sommes probablement à l’aube des ténèbres, cette récession mondiale tant appréhendée. En tant que société, allons nous agir ou simplement attendre la mort de nos premiers-nés (la 10ème et dernière des plaies d’Égypte) ? Nos entreprises manufacturières exportatrices qui constituent les fleurons de notre économie sont sous attaque. Que peut-on faire ? Que sommes-nous prêts à faire collectivement pour nous défendre ?

À défaut d’actions concrètes et rapides de nos divers niveaux de gouvernements (une politique d’achat chez nous serait un bon début), je pense qu’il est grand temps de tenir un sommet sur l’avenir de l’industrie manufacturière au Québec. Tous les acteurs devront se concerter pour dégager des nouvelles façons de faire et adopter les meilleures pratiques en terme d’efficacité, de productivité et de gestion, si on veut conserver cette portion d’industrie si importante pour notre avenir collectif.


[1] « Vous voyez là une augmentation de la monnaie de 73 %. [...] En d'autres mots, ça veut dire que les salaires canadiens, en comparaison avec les salaires américains [...] se sont accrus de 73 % en 4 ans. » affirmait Stephen Jarislowsky dans une entrevue avec le service des nouvelles de Radio-Canada le 7 novembre 2007

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#35 - Bulletin AMBAQ de Juin-Juillet 2008