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Président de Lacroix Groupe Conseil à Montréal, une firme qui offre des services de consultation stratégique en gouvernance, l’auteur était jusqu'à tout récemment, Vice-président investissements au Fonds de Solidarité FTQ et Vice-président du chapitre québécois de l’IAS. **** Les chroniques qui apparaissent dans ce blog sont rédigées puis publiées dans le bulletin mensuel de l'Association des MBA du Québec. À noter qu'elles ne reflètent que l'opinion de l’auteur **** Vous pouvez également obtenir plus d'infos sur certains des services en gouvernance que Lacroix Groupe Conseil est en mesure de vous offrir en allant voir le site web à : http://www.lacroixconseil.com

samedi 20 décembre 2008

Les critiques ont la cote

C’est en assistant à une conférence portant sur le lien entre la bonne gouvernance et la bonne performance que l’idée de cette chronique m’est venue. Dans sa présentation, Roberta Romano[1], mentionnait avoir étudié plusieurs des indices composés disponibles qui visent à évaluer la qualité de la gouvernance des CA des sociétés ouvertes.

Bien qu’elle affirme que « qualité de gouvernance » et « performance d’une organisation » ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, ses conclusions sont essentiellement que :
  • Il n’y a pas de lien démontré entre la performance des entreprises et les indices de gouvernance (ou de mesure spécifique) connus;
  • Il n’y a pas de bonne mesure, tout dépend du contexte.

Conséquemment, les autorités règlementaires devraient permettre de la flexibilité dans les modèles de gouverne des organisations.

Une analogie impertinente

C’est vrai qu’il est parfois difficile de juger de la performance de choses dont la variabilité est extrême. Prenons les films par exemple, il existe plusieurs types de façon de les évaluer :

(B+) Crash (v.f. de Crash), Thriller de P. Haggis avec S. Bullock, M. Dillon et D. Cheadle, États-unis, 1 h 55 min. Gagnant de 3 Oscars pour le meilleur film, le meilleur scénario et le meilleur montage. (13+). Les destins entrecroisés de huit personnes à Los Angeles, 24 heures avant qu'on ne retrouve le corps d'un homme assassiné.

Le premier indicateur est une cote, moyenne établie par plus de 40,000 internautes (un groupe de 13 experts[2] avait donné la cote B), indique un film de très grande qualité (par opposition à un « F » qui présume d’un navet). Le second, un genre, qui permet au cinéphile d’espérer que le film le tiendra en alerte. Suit une liste d’informations factuelles.

La référence aux Oscars et à plusieurs autres prix émérites, est le constat d’une forte reconnaissance (par les pairs et le public), quant à certains aspects techniques du film. La cote d’âge, allant de « Général » à « Adulte 18+ » indique aux parents qu’ils peuvent laisser leurs adolescents (et non leurs enfants) écouter un tel film. On termine le tout avec un bref synopsis.

Comparons maintenant cette critique de film avec celle, quasi-fictive, d’une société cotée en bourse à New-York et que l’on pourrait retrouver dans une revue d’investisseur éthique :

(79,2) Esso (v.f. de Exxon), NYSE États-unis, 1882, Blue-Chip fondé par E. Drake et B. Smith avec J D. Rockefeller comme co-fondateur, R. Tillerson dans le rôle du Chair et J. Houghton au comité de vérification. Gagnante d’une multitude de prix déméritoires (droits humains, environnement et responsabilité sociale), Exxon obtient en 2008 le score le plus bas de sa catégorie (l’un des 3 pires pour les USA) avec un indice du Reputation Institute de 38,5. (Aaa). Le destin d’une entreprise omnipotente et sa lutte pour éviter de payer 2,5 des 5,9 milliards de dollar$ d’amende imposée suite au déversement de pétrole en Alaska par le Exxon-Valdez.

Pour débuter, une référence à l’usage des meilleures pratiques de gouvernance[3]. Alors que GovernanceMetrics Intl. estime que les pratiques d’Exxon méritent une note de 10 sur 10, ISS lui accorde un quotient « CGQ » de 79,2%, note ordinaire principalement due au fait que le PDG occupe le poste de président du CA. C’est quand même bien mieux que les autres indices qui évaluent des éléments plus « subjectifs ».

Ainsi, accusée de prêter peu d’écoute à ses actionnaires dissidents, on constate que plusieurs organisations prétendent qu’Exxon est « la compagnie que tous aime haïr », notamment[4] :

· Ecofact qui la considère la compagnie la plus controversée au monde
· Corporate Equality Index qui lui a conféré son plus bas pointage (14%)
· Prix citron lors du Greenwash Sweepstakes Awards

Pourtant, ses actionnaires et le monde de l’investissement semblent être en désaccord avec eux. Forte d’une cote triple-A de Moody’s et S&P (cinq compagnies américaines seulement la détiennent) l’entreprise qui n’a jamais subie de pertes, apparaît très bien gérée et gouvernée et a une situation financière très solide. Tout comme son genre (Blue Chip) l’indique, ce titre est accessible au public investisseur en général.

Mais, la vrai mesure…

Vous en avez assez ? Je dis souvent que la vraie mesure d’un bon CA est sa capacité à créer (et préserver) de la valeur sur un horizon temporel qui se compte en années (et non en mois).

Alors recommençons : bien qu’ayant un petit budget de 6,5 M$, le film Crash a réussi à générer des revenus mondiaux de près de 100 M$, ce qui le classe au 924 rang[5] de tous les films américains. Une performance financière tout au plus honorable selon Hollywood, et bien inférieure à ce qu’on aurait été en droit de s’attendre vu la qualité des critiques.

On est très loin de la performance financière d’Exxon qui, en tête du Fortune 500 pour les 5 dernières années à titre d’entreprise avec les plus hauts profits (40 MM$ en 2008), s’est classée parmi les trois premières du classement[6] (revenus et profits) depuis, tenez-vous bien : 1955…

Quel est le rendement composé historique d’un titre dont la valeur passe de 2,50$ en 1971 à 92,50$ en juin dernier (en plus de tous les dividendes versés au fil des ans). Selon Fortune, son rendement composé sur 10 ans (pour l’investisseur) a oscillé historiquement entre 10 et 20 % selon les années et les décades (et moi qui dis toujours qu’un taux supérieur à 10 % est insoutenable).

Que peut-on conclure ?

On voit donc que, comme pour toutes sortes d’évaluations, lorsqu’on utilise un indicateur donné pour prédire la performance finale, bien qu’il soit possible de constater l’existence de liens entre les deux, il peut parfois s’avérer extrêmement difficile de les corréler entre eux, et surtout, d’arriver à quantifier la valeur qui sera créée ou générée.

De plus, certains indicateurs de nature plus qualitative, bien qu’utiles pour mobiliser et amener des changements de comportement, ont encore moins de capacités prédictives (parfois même inverses).

Alors, en cette période trouble sur les marchés financiers mondiaux, j’espère que nos voisins américains, tout empressés qu’ils seront de vouloir empêcher une répétition de la récente débâcle, sauront résister à l’envie de légiférer inutilement à nouveau et de tenter de règlementer à outrance les pratiques des conseils d’administration. A-t-on vraiment besoin d’un Tome II de la saga Sarbanes-Oxley ?


[1] Corporate Governance and Performance, Roberta Romano, Yale Law School, Conférence de l’IAS sur la gouvernance, Montréal, Sept. 2008
[2] http://movies.yahoo.com/movie/1808631706/info
[3] http://www.kenan-flagler.unc.edu/assets/documents/sustainabilityIndexSummaries.pdf
[4] http://www.sri-adviser.com/briefs.mpl
[5] http://www.boxofficemojo.com/movies/?id=crash05.htm
[6] http://money.cnn.com/magazines/fortune/fortune500/2008/

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#38 - Bulletin AMBAQ décembre 2008

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